Mon premier interview par Mathilde Mochon
Article paru dans "C'est à Cherbourg" juillet 2025
Dans un monde du travail en perpétuelle mutation, changer de cap n'a jamais été aussi courant
De l’infographie à la poterie (en passant par le BTP)
À Héauville, au cœur du Cotentin, Isabelle Angée façonne aujourd’hui la terre avec passion. Dans son petit atelier de 14 m², imprégné du calme de la campagne normande, Isabelle accueille, le sourire aux lèvres, les curieux venus s’essayer au tournage. Ici, chaque geste est un apprentissage, chaque pièce façonne une petite victoire.
Pourtant, rien ne la prédestinait à devenir céramiste
Avant d’ouvrir La Pâte Folle, Isabelle a connu plusieurs vies professionnelles
Originaire de Lisieux, elle débute sa carrière à Paris, forte d’un Bac Pro en arts graphiques. Pendant cinq ans, elle conçoit publicités et mises en page. Un métier créatif, mais vite rattrapé par la routine.
C’est là qu’elle rencontre son compagnon, avec des origines normandes lui aussi. Ensemble, ils reviennent à une vie plus paisible, dans la campagne normande, à Héauville dans le Cotentin.
Premier virage professionnel : Isabelle quitte le monde de l’infographie pour celui du bâtiment. Après une formation avec l’AFPA, elle devient approvisionneuse dans une entreprise de BTP. Devis, commandes, gestion logistique… Pendant sept ans, elle s’efforce de trouver sa place, portée par la solidarité de ses collègues.
Mais l’ennui s’installe. Une impression tenace de tourner en rond, de ne plus avancer. Lorsqu’elle change d’entreprise pour rejoindre le secteur industriel, la pression devient permanente, les exigences toujours plus élevées, les frustrations s’accumulent. En pleine crise sanitaire, elle enchaîne les horaires décalés, de 21h à 2h du matin.
” Je me suis dit : qu’est-ce que je suis en train de faire ? “
Le retour au dessin puis l’engagement dans l'association Ratatouille
Animer des ateliers créatifs pour enfants, première étincelle
Mais c’est au détour de vacances sur l’île d’Oléron qu’elle a le déclic : une rencontre inattendue avec un potier, exposant ses œuvres dans son jardin. Un moment simple, un long échange qui l’a profondément marquée.
Isabelle entame alors une reconversion patiemment mûrie. Elle s’inscrit à une formation à distance de tournage céramique (youschool), financée via le CPF. Une aventure solitaire et exigeante, semée d’embûches : difficulté à trouver des stages, réticence du milieu face à la formation en ligne. Mais elle persévère, soutenue notamment par Claire, sa voisine, qui lui propose un petit local pour y installer son futur atelier.
Pendant huit mois, elle se confronte seule à la matière et à la technique. Des hauts, des bas, des doutes. Mais en juin 2024, elle décroche avec fierté son CAP Céramique au Pôle Céramique de Normandie, en Seine-Maritime. » Une expérience humaine incroyable », dit-elle avec émotion.
Avec l’aide de la CCI, elle lance enfin son entreprise.
La pâte folle est née
Un nom plein de malice, soufflé par son père qui la surnommait ainsi, un clin d’œil affectueux devenu une évidence.
Aujourd’hui, Isabelle s’épanouit pleinement. Elle y propose des initiations à la poterie ouvertes à tous, dès 12 ans, mais aussi à des publics spécifiques : personnes âgées, en situation de handicap… Avec bienveillance et patience, elle adapte ses cours pour que chacun puisse, à son rythme, découvrir le plaisir de modeler la terre.
À Héauville, entre mer et bocage, Isabelle façonne désormais bien plus que de la terre : elle façonne un nouveau sens à sa vie.
